mercredi 27 janvier 2010

ENTRETIENS & EXTRAITS

ECRIRE/ « (…) J’ai su très vite, dès l’âge de quatorze, quinze ans à peu près, que je ne pourrais être que vagabond ou voleur, un mauvais voleur, bien sûr, mais enfin voleur. Ma seule réussite dans le monde social était, aurait pu être de cet ordre, si vous voulez : contrôleur d’autobus ou peut-être aide-boucher, ou quelque chose comme ça. Et comme cette sorte de réussite me faisait horreur, je crois que je me suis entraîné très jeune à avoir des émotions telles qu’elles ne pourraient me mener que vers l’écriture. Si écrire veut dire éprouver des émotions ou des sentiments si forts que toute votre vie sera dessinée par eux, s’ils sont si forts que seule leur description, leur évocation ou leur analyse pourra réellement vous en rendre compte, alors oui, c’est à Mettray, et à quinze ans, que j’ai commencé d’écrire. Ecrire, c’est peut-être ce qui vous reste quand on est chassé du domaine de la parole donnée. (…)»
Entretiens avec Antoine Bourseiller, 1981


OMBRE ET LUMIERE/ « (…) Je ne vois pas pourquoi je me passerais sous silence, je suis encore celui qui me connaît le mieux. Le plus important, ce qui était le plus important pour moi, je l’ai mis dans mes livres. Pas parce que je parle à la première personne : le ‘je’, dans ce cas-là, n’est pas autre chose qu’un personnage un peu magnifié.
Je suis plus proche de ce que j’ai écrit parce que, vraiment, je l’ai écrit en prison, et j’étais persuadé que je ne sortirais pas de prison.
Pourquoi j’aimais retourner en prison, je vais essayer de vous donner une explication, qui vaut ce qu’elle vaut, je ne sais pas. J’ai l’impression que vers la trentaine, j’avais, en quelque sorte, épuisé le charme érotique des prisons, des prisons pour hommes bien sûr, et si j’ai toujours aimé l’ombre, même gosse, je l’ai aimée peut-être jusqu’à aller en prison. Je ne veux pas dire que j’ai commis les vols pour aller en prison, bien sûr, je les ai commis pour bouffer. Mais enfin ça me conduisait peut-être intuitivement vers l’ombre, vers la prison.
(…) J’ai aimé la Grèce pour une autre raison encore que je vais vous dire. C’était, et c’est le seul pays au monde où le peuple a pu vénérer, honorer ses dieux et se foutre d’eux. Ce que le peuple grec a fait l’égard de l’Olympe, jamais les Juifs n’auraient osé et n’oseraient le faire encore pour Yahvé, aucun Chrétien n’oserait le faire pour le Crucifié, aucun Musulman pour Allah. Les Grecs ont pu se moquer à la fois d’eux mêmes et de moquer de leurs dieux. Je trouve cela épatant (…). »
Entretiens avec Antoine Bourseiller / 1981


QUATRE HEURES A CHATILA / « (…) Une photographie a deux dimensions, l’écran du téléviseur aussi, ni l’un ni l’autre ne peuvent être parcourus (…). La photographie ne saisit pas les mouches ni l’odeur blanche et épaisse de la mort. Elle ne dit pas non plus les sauts qu’il faut faire quand on va d’un cadavre à l’autre. Si l’on regarde attentivement un mort, il se passe un phénomène curieux : l’absence de vie dans ce corps équivaut à une absence totale du corps ou plutôt à son recul ininterrompu. Même si on s’en approche, croit-on, on le touchera jamais. Cela si on le contemple. Mais un geste fait en sa direction, qu’on se baisse près de lui, qu’on déplace un bras, un doigt, il est soudain très présent, presque amical (…). »

(…) Le choix que l’on fait d’une communauté privilégiée, en dehors de la naissance alors que l’appartenance à ce peuple est native, ce choix s’opère par la grâce d’une adhésion non raisonnée, non que la justice n’y ait sa part, mais cette justice et toute la défense de cette communauté se font en vertu d’un attrait sentimental, peut être même sensible, sensuel ; je suis français, mais entièrement, sans jugement, je défends les palestiniens. Ils ont le droit pour eux puisque je les aime. Mais les aimerais-je si l’injustice n’en faisait pas un peuple vagabond ? (…)
« Quatre heures à Chatila » / 1982



Autant, plutôt par jeu que conviction, j’avais répondu à l’invitation de passer quelques jours avec les Palestiniens, j’y resterai près de deux ans et, chaque nuit, allongé, presque mort, attendant que la gélule de Nembutal m’endormit, je gardais les yeux ouverts, l’esprit clair, pas étonné, pas effrayé, mais certainement amusé d’être ici où, d’un côté comme de l’autre du fleuve, des hommes et des femmes étaient aux aguets, depuis longtemps, alors pourquoi pas moi ?
Jean Genet ‘Un captif amoureux’ (extrait)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire