mardi 19 janvier 2010

Genet, l’homme qui ne voulait pas rentrer dans la norme

L'ORIENT LE JOUR (Liban) / 20 Oct. 2009
Par Zéna ZALZAL



Festival Jean Genet Une lecture du « Journal d'un voleur», suivie d'une mise en espace de la dernière interview de Jean Genet, était à l'affiche du théâtre Babel durant le week-end.
Auteur difficile, autant par la sophistication de son style raffiné que par les thématiques qu'il défend, Jean Genet, célébré par Sartre qui voyait en lui un « moraliste qui montrait à la société le spectacle de sa propre fange », honni par Mauriac, qui le qualifiait d'« excrémentiel», est un écrivain et un poète, un peu à part, dans le panthéon des hommes de lettres français.
À part, il le fut, sa vie durant. Par la force du destin. Enfant abandonné à sa naissance, homosexuel aux émois dominés par toute une liturgie sado-maso, cet homme proclamait à la face du monde sa fascination pour la perversion, le mal, le crime. Qu'il ira même jusqu'à sacraliser.
À part, Jean Genet le fut aussi volontairement. Délibérément. D'une lucidité tranchante, cet être solitaire et vagabond, cultivait ce « sentiment d'être à part» en maintenant avec les autres une distance qui empêchait toute empathie, comme l'a signalé Catherine Boskovitz, metteuse en scène française fascinée par ce personnage et son œuvre, et qui prépare, avec Sawsan Bou Khaled, dans la perspective des célébrations en 2010 du centième anniversaire de la naissance de l'auteur des Bonnes et du Journal d'un voleur, une pièce inspirée de sa dernière interview, accordée en 1982, à la BBC.
Cette création en cours, qui « traverse quelques-uns des thèmes de Genet et son archéologie intérieure », a été présentée au cours du week-end sur les planches du théâtre Babel par les deux jeunes femmes, donnant un avant-goût très prometteur du spectacle qui devrait normalement en résulter d'ici à un an. À signaler l'interprétation magistrale de Sawsan Bou Khaled qui arrive à reproduire le cynisme, le détachement, la coupante lucidité, mais aussi les failles soigneusement calfeutrées sous l'apparence de la rage et de la provocation de cet être singulier et noir, dont il faut reconnaître cependant la liberté absolue, freinée par aucun tabou.
Casser l'ordre, ne pas entrer dans la norme, rester irrécupérable, même par les causes qu'il aura défendues, comme la cause palestinienne ou celle de l'indépendance de l'Algérie, voilà ce qui ressort de cette Dernière interview de celui qui affirmait : « Ma démarche à la société est oblique. »
Une démarche oblique, issue sans doute de sa révolte profonde contre l'ordre établi, mais aussi de cette exigence de perfection qui, derrière la provocation et le scandale, le porte à une sorte de vénération de l'écriture, à travers la recherche de la beauté et de la puissance du mot.
Ainsi, en dépit de la crudité du verbe, quand il raconte dans le Journal d'un voleur son attrait pour les corps des garçons, sa mythologie personnelle du vol, sa complaisance au crime, sa nonchalance qui le poussa à la prostitution..., Jean Genet reste dans une écriture raffinée et esthétisante.
« Jean Genet n'est jamais familier, même avec soi », écrivait d'ailleurs, en préambule de ce même Journal, Jean-Paul Sartre. Dans ce texte autobiographique, dont des extraits éloquents ont été lus par Rita Husseini, Salma Kojok (professeurs de littérature et d'histoire) et Raghda Mouawad (comédienne), l'écrivain sulfureux met son cœur à nu. Et même si l'on n'adhère pas à ses idées, certains de ses propos ne peuvent laisser indifférent. Je cite : « J'ai bandé pour le crime», «À mon avis, la famille est une des cellules criminelles et probablement, l'une des plus criminelle »,« Il faut payer le plaisir qu'on a à voler », ou encore « Ainsi refusais-je un monde qui me refusait par ma naissance indéterminée. » Des propos qui donnent, pour le moins, à réfléchir.

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